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EDITORIAL – Grand média romand conservateur, l’impossibilité totale (pour le moment)

GENÈVE Certains rêvent, dont votre serviteur, d’un grand média romand conservateur, une sorte de Le Figaro ou de The Wall Street Journal pour notre coin de pays. Mais cela me semble impossible pour le moment en tout cas financièrement (sauf si un milliardaire veut perdre de l’argent comme avec un club de foot) pour plusieurs raisons.

Masse de population

La première est qu’avec seulement 2 millions d’habitants en Suisse romande (l’équivalent d’un grand quartier de New York ou Sao Paulo) et passablement d’étrangers en Suisse romande notamment à Genève peu intéressés par la Suisse, il est impossible d’avoir une masse suffisante de lectorat, rappelons que la France avec Le Figaro a presque 70 millions d’habitants et les Etats-Unis plus de 330 millions avec le Wall Street Journal. Il y a donc des conservateurs au fin fond du Nevada, et même hors des Etats-Unis, qui vont par exemple lire le Wall Street Journal (même propriétaire que Fox News). Un Français de Menton (Sud) va peut-être aussi lire Le Figaro en version papier ou online (ex. sur un iPad). En Suisse romande, on travaille sur une masse de peut-être maximum 1,5 millions d’habitants, et croyez-moi si 300’000 se définissent comme conservateurs, ce serait déjà énorme. Mais sur ces 300’000, moins de 10% voudront acheter un journal ou s’abonner à un blog/journal payant. Rappelons que fin 2019, Le Temps comptait moins de 10’000 abonnés payants à la version digitale.

Obédiences différentes

Mais même si on travaille sur une masse potentielle de 30’000 conservateurs en Suisse romande prêts à avoir “leur” média (et il y a des coûts marketing énorme pour chercher ces 30’000 abonnés), il y a un autre très grand problème. Les obédiences du conservatisme sont différentes, il y a une branche on peut dire écologique (le conservatisme de la nature) comme l’a développé pendant des années M. Phillipe Barraud avec son feu et regretté (enfin pour moi qu’à moitié) blog Commentaires.com. M. Barraud est un protestant avec une forte tendance écologique, dans un sens proche des Verts Libéraux. Peut-être, selon moi sûrement, même pas du conservatisme. Puis il y a M. Pascal Décaillet, un catholique d’origine valaisanne basé à Genève un peu inclassable, parfois en faveur de Trump, parfois contre (quand il attaque un militaire iranien). Politiquement, il semble assez proche du PDC avec un mélange d’UDC à la sauce non zurichoise. Assez critique envers Israël et les Etats-Unis (lisez son blog ici), M. Décaillet est plutôt adepte d’une sorte de domination de l’Europe (France et Allemagne principalement). Puis il y une vision plus radicale envers l’islam et les étrangers véhiculée notamment par le site ou blog Les Observateurs, classé par certains bien à droite pour ne pas dire extrême droite. Enfin, il y une vision d’un conservatisme dit d’obédience néo-libérale ou néo-conservateur (les Républicains américains, c’est-à-dire libéral sur l’économie et conservateur sur les valeurs) dont je fais partie même si je mets aussi des nuances, qui se rapproche un peu de l’UDC zurichoise, avec l’importance des évangéliques dans la vision conservatrice du monde sur certaines valeurs de la famille (forte limitation de l’IVG par exemple). Bref, vous voyez les grandes différences de mouvements “conservateurs”, on peut vraiment parler de plusieurs droites. Sans compter qu’il y a encore la droite libérale ou classique en Suisse, type PLR (ex. NZZ), qui est libérale sur l’économie et libérale sur les valeurs ou questions de société. Dans ce dernier cas, dans la définition française (en anglais du Royaume-Uni c’est différent), ce n’est pas du conservatisme mais du libéralisme voire progressisme.

Question de pouvoir, à quoi bon ?


Un problème aussi avec un média conservateur basé à Genève ou Lausanne, aura-t-il du pouvoir politique à Berne ou ailleurs ? Car si on prend le Wall Street Journal, forcément c’est en 2020 le journal probablement le plus influent au monde comme il est parfois un relais intellectuel des Républicains américains et à Trump (qui préfère la TV Fox News). En France aussi Le Figaro a bien sûr un pouvoir gigantesque – plus que Le Monde selon moi, surtout quand c’est un gouvernement de droite ou peut-être du centre comme Macron. Mais en Suisse, avec un système politique bien différent, on peut se demander si un grand journal conservateur aurait vraiment du pouvoir au niveau fédéral, autrement dit quel intérêt si le média n’influence pas directement la politique ? Ou alors il faudrait imaginer directement un journal conservateur en allemand, peut-être traduit en temps réel par l’intelligence artificielle (AI). Au fait, on y croit peut-être un jour avec plus de technologie pour arriver à un grand média conservateur basé à Berne en 2 ou même 3 langues ? Mais pour le moment, non, un grand journal conservateur en Suisse romande n’a rien de crédible. Comme on dit dans le monde de business, il n’y a pas de modèle d’affaires (business model).


Et aussi, avant d’être sérieux sur un éventuel grand média conservateur romand, il faudrait que les différentes droites ou courants puissent faire la paix, mais on en est loin, plutôt la guerre avec au moins 4 camps (lire ci-dessus). Droites divisées, probablement bien pour les gauches, y compris les Verts, que cela soit en média ou politique.

Mis à jour le 13 février 2020. Par Xavier Gruffat

Observação da redação: este artigo foi modificado em 13.02.2020

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