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CHRONIQUE – Toujours plus, ou l’alternative impossible

Par Philippe Barraud (journaliste) – Contenu exclusif sur Romanvie.ch

L’été qui s’achève s’avère, sans surprise, être le plus chaud de l’époque moderne. Et il ne fait guère de doute que l’année prochaine sera plus chaude que celle que nous vivons. Et ainsi de suite.

Les conséquences sont visibles et de plus en plus choquantes. L’Amazonie, autrefois poumon de la planète, produit désormais d’immenses nuages de fumées toxiques, et donc des quantités phénoménales de CO2. Les milliers d’incendies volontaires qui la dévastent s’ajoutent à ceux qui, partout, font disparaître les forêts – en Californie, au Portugal, en Grèce, en Indonésie, en Sibérie, au Canada… La liste est sans fin.

Les mers ont atteint cet été des températures inédites, 30°C pour la Méditerranée et la Mer Noire, par exemple. L’évaporation qui s’est ensuivie a provoqué les précipitations et les inondations «millénaires» que connaissent les pays de l’Est.

On réalise sans peine que ce sera pire demain, et que nos enfants devront faire face à des conditions extrêmes, voire, hélas, invivables. Peut-être qu’ils nous maudiront de n’avoir rien fait, alors que nous savions. On sait déjà que de vastes zones de la planète, entre les Tropiques, deviendront invivables à court terme, à plus de 50°C, et que les océans vont recouvrir les îles du Pacifique les moins élevées, et les côtes les plus peuplées.

CHRONIQUE – Toujours plus, ou l’alternative impossible

Sidération et impuissance

Arrêtons là le récit des dix plaies d’Egypte de l’époque actuelle, récit assurément déprimant et angoissant. Mais justement, et c’est un immense mystère: pourquoi restons-nous inactifs, comme si nous étions tétanisés par le spectacle d’un monde qui s’écroule, spectateurs sidérés et impuissants d’un cataclysme qui ne ressemble à rien de connu ?

Nous sommes comme les personnages des plus beaux romans de Julien Gracq, Le rivage des Syrtes, Les terres du couchant. Voici des civilisations anciennes, riches et repues, qui savent que les barbares sont à leurs portes, mais qui semblent accepter d’avance leur disparition et le pillage des richesses accumulées, comme si la lutte contre ces peuples jeunes et conquérants était perdue d’avance, voire dans l’ordre des choses.

La vérité, c’est que pour nous aussi, l’ampleur de la tâche paraît incommensurable. Elle l’est d’autant plus que si les uns veulent se battrent contre l’effondrement des conditions climatiques, d’autres ne veulent rien savoir, ou plus précisément, parce qu’on ne peut plus nier l’évidence, choisissent la fuite en avant, business as usual.


Incohérence intellectuelle

J’écoute beaucoup la radio, je lis beaucoup la presse, et je fais toujours le même constat d’incohérence intellectuelle criante. Les mêmes journalistes qui nous annoncent les catastrophes, s’émerveillent la minute suivante de la croissance exponentielle du trafic aérien, avec interview des directeurs d’aéroports à la clé; ou du développement du tourisme spatial, et de l’internet dans l’espace, à coup de dizaines de milliers de satellites. Le coût de tout cela ? Silence… Prenez par exemple l’émission La terre au carré de France-Inter, qu’on peut qualifier de «verte». Au début et à la fin, l’auditeur doit subir une avalanche de publicités pour des grosses berlines allemandes, synonymes paraît-il de bonheur et de plaisir, mais dont le poids et la puissance, et donc les nuisances, outrepassent largement les besoins de l’usager moyen. Formidable incohérence, qui dépasse complètement les journalistes les mieux intentionnés.


Surconsommation obligatoire

Ce seul exemple est significatif du système dans lequel nous sommes emprisonnés, qui repose sur la surconsommation de biens et de services. La publicité, omniprésente, obsédante, obscène, nous pousse à acheter des choses dont nous n’avons pas vraiment besoin, mais qui font tourner la machine. Lorsqu’une société chinoise de prêt-à-porter soumet à la convoitise de nos ados des centaines de nouvelles collections par jour, elle sait parfaitement comment manipuler les jeunes, notamment par des influenceuses stipendiées – une forme de prostitution numérique – et par des prix plus que cassés. Avec pour conséquences un pillage des ressources de la planète, et la création de montagnes de déchets textiles non-recyclables, qui s’accumuleront dans les décharges à ciel ouvert des pays pauvres, où nous rejetons généreusement nos rebuts.

Mais c’est ainsi que la machine tourne: produire toujours plus pour que l’on consomme toujours plus – c’est ce qu’on appelle la croissance. Bien sûr, il ne peut pas y avoir de croissance dans un monde aux ressources finies, c’est une équation têtue. Mais chacun tient l’autre par la barbichette: voulez-vous qu’on arrête enfin de bétonner la Suisse ? Qu’on arrête de faire venir des migrants pour construire des logements pour… les migrants ? Mais on va perdre des entreprises, des emplois, des dividendes, de la prospérité !

Quel que soit le domaine économique considéré, on fait donc face à la même impasse: aucun politicien, et sans doute aucun citoyen non plus, n’est prêt à payer de prix d’un autre système économique, tant il serait élevé. Quelles que soient les idéologies en présence en effet, la surconsommation reste le moteur de l’économie mondiale. Et comme elle est aussi le moteur de la destruction de notre monde, elle placera bientôt brutalement l’humanité face à ses responsabilités – tard, bien tard.

Le 19 septembre 2024. Crédits photos: Adobe Stock, Pixabay ou Pharmanetis Sàrl (Creapharma.ch).

Observação da redação: este artigo foi modificado em 04.10.2024

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