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CHRONIQUE – Comment l’IA va anéantir la société humaine (Ph. Barraud)

Par Philippe Barraud (journaliste) – Contenu exclusif sur Romanvie.ch (partie 2 à lire ici)

1.- Incapables et inutiles : « c’est la machine qui décide »

Faut-il, comme de nombreux médias, s’émerveiller du développement fulgurant de l’intelligence artificielle (IA ou AI en anglais), alors qu’elle n’est jamais qu’une évolution de l’informatique que nous connaissons depuis des décennies ? Certes, un habile marketing et une communication agressive en ont fait une nouveauté incontournable – raison de plus pour tirer la sonnette d’alarme.

Comme il en va de toute innovation technologique, on n’en voit que les avantages, mis en avant par leurs concepteurs : «Avec l’IA on pourra… ». On pourra tout, oui, et peut-être un peu trop.

L’innovation technologique se nourrit d’elle-même, à un rythme de plus en plus rapide, en grande partie parce que ceux qui maîtrisent son développement disposent de moyens financiers quasi illimités. Mais ces investissements sont si massifs qu’ils doivent générer immédiatement du profit. C’est pourquoi ces innovations sont mises sur le marché le plus vite possible, sans réflexion éthique sur leurs conséquences possibles. Et en général elles rapportent gros, très vite, parce que le public est réceptif, voire demandeur d’innovations à tout prix, supposées l’augmenter: «Avec ça je pourrai…»


On passe malheureusement sous silence les effets environnementaux désastreux du développement de l’IA. En Irlande par exemple, les centres de données consomment 20% de l’électricité produite dans le pays, et cette proportion augmente rapidement. Il en va de même pour les cryptomonnaies, l’eldorado de la criminalité, qui consomment des quantités phénoménales d’énergie, sous le regard indifférent des Etats.

Cette frénésie du «progrès» technologique empêche de réfléchir sereinement aux effets à long terme de l’IA sur le fonctionnement de la société, et sur les humains eux-mêmes. Or, ces effets seront immenses, et probablement dévastateurs. Voyez comme les rapports sociaux ont été bouleversés par l’irruption du smartphone dans nos existences, où il occupe une place centrale – il suffit d’observer un quai de gare ! Comme le dit joliment l’écrivain Sylvain Tesson, les humains ont tous un petit dieu noir dans la poche, qu’ils caressent du matin au soir…

Comment l’IA va anéantir la société humaine

La fin des responsabilités

L’IA a déjà fait son chemin dans les entreprises et les administrations. Un exemple ? Vous vous plaignez à la direction de la Poste, à Berne, de la distribution tardive du courrier dans votre quartier. La réponse, d’une personne physique (provisoirement), fuse : «On ne peut rien faire, c’est la machine qui décide

Cette personne, qui sera évidemment remplacée bientôt par un robot à la voix charmeuse, disponible 24 heures sur 24 et non-syndiqué, a prononcé la phrase qui préfigure l’avenir : «C’est la machine qui décide

Et cette machine toute puissante va logiquement décider, dans notre société capitaliste ultra-concurrentielle, que la plupart des salariés sont inutiles, puisque l’IA accomplit les tâches, même matérielles, beaucoup plus vite et à moindre frais, sans vacances, ni deuxième pilier, ni maladies du lundi.


Surtout elle permet, voire elle oblige l’individu, à se défaire de ses responsabilités : «Je n’y peux rien, puisque c’est la machine qui décide.» Et cela s’applique déjà aux aspects les plus variés de l’existence. Par exemple, vous laisserez l’IA décider si vous devez demander le divorce, après une analyse implacable du problème – des sites en lignes offrent cette opportunité. L’IA attachée à votre poignet vous dira si vous dormez mal, ce qui est le plus sûr moyen de très mal dormir.

Aucun métier n’est à l’abri

Un jour pas si lointain, l’IA remplacera les juges. Logique, puisqu’elle maîtrise la totalité du droit et de la jurisprudence, particulièrement touffue comme l’on sait. Sur ce plan-là du moins elle sera littéralement infaillible, qualité à laquelle aucun magistrat humain ne peut prétendre.

Cette infaillibilité même rendra les procédures de recours sans objet. Quelle économie…

Et pourquoi ne remplacerait-elle pas les politiciens, parfois mal avisés, ou peu compétents, ou corrompus ?

Parce que l’IA, forte d’une masse de données énorme et qui croît de manière exponentielle, va rapidement être en mesure de remplacer l’humain dans la plupart des domaines d’activité. Déjà, dans le monde agricole, des machines travaillent toutes seules dans les champs, au centimètre près, réagissant à des capteurs qui leurs indiquent leur tâche, au moment le plus opportun; dans le domaine militaire, les applications sont déjà nombreuses – plus personne ne devra assumer la responsabilité d’un massacre de civils par exemple, puisque c’est la machine qui décidera où faire tomber les drones.

Pratiquement aucune profession n’échappera à l’IA, à part peut-être les femmes de ménages dans les hôtels, dont certains n’ont déjà plus de personnel d’accueil. On le voit aujourd’hui, l’IA tend à remplacer les médecins, les enseignants, les avocats, les journalistes, les banquiers et même, nous le verrons dans un prochain article, les acteurs culturels.

En un mot comme en cent, les humains que nous sommes vont devenir inutiles au bon fonctionnement de la société, leur métier obsolète, leurs compétences vraiment navrantes face à l’omnipotence de l’IA.

Et puisque nous ne serons plus capables de rien, nous ne serons plus responsables de rien non plus. Contraints ou consentants, nous aurons cédé notre libre-arbitre et nos responsabilités à la machine, et finalement constaté notre inadéquation au monde qui vient, un monde «parfait» administré par une intelligence artificielle infaillible et dépourvue de la moindre faiblesse humaine – autrement dit, de toute humanité.

À cet égard, on se demande que dire à nos jeunes ? Acquérir une formation ? Apprendre des langues ? Si vous posez la question à l’IA, elle vous répondra: «A quoi bon, puisque je suis là ?».

Article no 2/2 : Savoirs et culture, la guerre est déclarée

Le 6 août 2024.

Observação da redação: este artigo foi modificado em 14.08.2024

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